Faisons un retour rapide sur l’historique des deux business modèles de la filière blé-farine-pain. C’est la comparaison de ces deux modèles qui mettra en lumière les menaces, les enjeux mais aussi les opportunités qui se présentent aujourd’hui à notre filière.
Pourquoi ne pas utiliser des lettres comme symboles des modèles et des stratégies qui suivent ? Commençons par la lettre « Q » que je décide d’affecter aux deux, avec néanmoins deux significations différentes pour chacun d’entre d’eux.
Un « Q » pour « quantity » pour le premier, un « Q » pour « quality » pour le second.
Le premier modèle « Q as quantity » est historique, j’ai l’idée des lettres symboles « P-P » pour définir sa stratégie soit « Produce & Perform », comme de réaliser au coût le plus économique une production en quantité aussi importante que possible. Il s’agit de nourrir le monde là où les consommateurs répondent à des besoins situés en base de la pyramide de Maslow. On revient à manger pour survivre et l’écho qui résonne de cette situation est « food is fuel ». Les objectifs qualitatifs sont sommaires, basiques et pratiques en termes d’hygiène et d’alimentarité, de goût et d’emballage.
Le second modèle « Q as quality » est plus récent, cette fois ci, en guide de stratégie j’ai l’idée de « T-T », pour dire « Taste and Traçability ». Cette fois le produit n’est plus seulement du carburant, en effet : « you become what you eat ». Il répond à un besoin du consommateur situé plus en haut de cette même pyramide de Maslow synonyme de plaisir, donc de goût pour faire référence aux produits de notre filière, et de sécurité, donc de traçabilité pour encore une fois recentrer sur nos métiers. Le plaisir de nos produits est connecté au goût avec des notions de saveur, de flaveur, de visuel mais pas seulement tellement nos produits sont diversifiés et propres à chacune des régions du monde. La qualité de nos produits est aussi portée par la « valeur » qu’ils transportent tels les produits traditionnels ou d’autrefois mais aussi le rôle bénéfique sur notre santé. Sans parler de l’innovation ou du « nouveau » qui baigne aussi dans le domaine de la qualité. Quant à la sécurité, il est plus aisé de mettre en avant des notions d’assurance et de maîtrise des origines des matières qui nous amène sur le thème de la traçabilité. Mais le sujet est plus large car il intègre d’autres thèmes essentiels : la culture biologique, l’hygiène et la garantie sanitaire, les normes, les labels et les processus de certifications.
Quel est donc l’enjeu de la filière blé-farine-pain dans ce contexte ?
La réponse est double : la filière devra trouver de la performance et de l’innovation sans tomber dans l’erreur de la confrontation de ces deux modèles. Elle devra le faire en considérant l’impact du bouleversement climatique à son juste degré d’importance.
Tout d’abord, l’enjeu n’est pas de considérer les deux modèles précités comme fondamentalement opposés l’une à l’autre. Mais bien au contraire de comprendre que la clé de l’enjeu est d’en définir une nouvelle issue, modérée et mesurée.
Autrement dit, de ne pas considérer le tout productivisme comme de facto un choix industriel qui n’est pas en mesure d’intégrer des impératifs de qualité. En en parallèle, de comprendre que des choix portés par des modèles de qualité ne sont pas incohérents avec de la performance agricole et industrielle à grande échelle.
Mais l’adoption de cette nouvelle « voie » passe aussi par l’acceptation que ces deux modèles tels qu’ils sont aujourd’hui sont perfectibles et présentent des limites. Il est important de ne pas nier que le modèle « Q as quantity » n’est pas suffisamment à l’écoute des contraintes environnementales et qu’il peut offrir une montée en gamme de la qualité de ses produits. Au même titre qu’il faut admettre que les exigences qualitatives du second modèle « Q as quality » sont parfois une telle une course vers du haut de gamme et l’innovation marketing que le risque existe d’être déconnecté de la disponibilité en ressource végétale et d’alimenter une bulle marketing et économique extrêmement fragile et instable.
On comprend donc que l’enjeu à venir est d’inscrire durablement un troisième modèle, issu d’une montée en gamme du modèle « P-P » et d’un effet de pondération du modèle « T-T ». Il s’agit de produire bon, de manière profitable tout en intégrant au cœur du business modèle des objectifs de qualité aux limites cohérentes, pragmatiques et modérées pour assurer un prix de vente accessible aux plus nombreux d’entre nous. Mais aussi pour s’assurer de jouer un rôle contributif pour la protection de notre environnement. Et enfin pour garantir à ce modèle économique une parfaite disponibilité en ressource en matières premières végétales.
Enfin, il va s’agir de prendre en considération les effets indiscutables du réchauffement climatique sur les actuelles zones de productions céréalières. Trouver les espèces variétales adaptées aux nouvelles conditions, investir de nouvelles zones de cultures plus propices en en abandonnant d’autres, adopter de nouvelles pratiques culturales, voici les pistes d’explorations envisageables pour se mesurer aux modifications structurelles de notre climat.